En réponse à l’actualité de la rentrée scolaire – entre harcèlement et cours d’empathie – présentation d’une expérimentation lyonnaise, inspirée de la tradition danoise : l’Année lumière. Une structure pour accompagner les 16-25 ans dans la construction de leur projet d’avenir. Au-delà d’un projet professionnel, un programme pour acquérir les compétences humaines essentielles au vivre-ensemble.

Situations de harcèlement, cours d’empathie lorsque l’on s’intéresse à l’éducation, comment ne pas faire de liens entre les deux actualités qui accompagnent cette rentrée scolaire ?

Actualité certes, et je suis personnellement ravie qu’on prenne enfin le sujet à bras le corps tant je rencontre de jeunes qui me racontent leurs expériences regrettables et leur mal-être, mais qui n’est malheureusement pas récent.

En effet, le concept de harcèlement a été forgé au début des années 70 par le psychologue Dan Olweus à l’occasion d’études réalisées dans des établissements scolaires scandinaves et est officiellement reconnu en France depuis la circulaire no 2013-100 du 13 août 2013 intitulée Prévention et lutte contre le harcèlement à l’École.

Quant à l’empathie, il s’agit d’une conception qui remonte à la fin du XIXème siècle et qui ne cesse de se développer au XXème pour être plus récemment « mise en images » par les neurosciences. Ce sont les journalistes Mathilde Leflot en 2016, puis Ariane Warlin en 2018 qui font état pour la première fois des cours d’empathie mis en place au Danemark, pays classé parmi les « plus heureux au monde ».

Nous voilà à nouveau en Scandinavie.

Mais attention aux raccourcis !

Quand bien même notre nouveau ministre de l’éducation nationale Gabriel Attal séjourne actuellement au Danemark afin d’observer des « cours d’empathie », dans le contexte de la lutte contre le harcèlement scolaire, « l’enseignement » de l’empathie ne règlera pas à lui seul les problèmes de harcèlement scolaire…

Ne nous méprenons pas, je suis évidemment tout à fait favorable à la mise en place d’un dispositif similaire à cette heure hebdomadaire de développement de l’empathie, qui fait partie intégrante du programme scolaire national danois pour tous les enfants âgés de 6 à 16 ans. Heure pendant laquelle les élèves discutent ensemble de leurs problèmes individuels ou collectifs, en essayant de respecter tous les points de vue et de trouver une solution, ce qui permet aux élèves d’être reconnus et entendus comme faisant partie d’une communauté plus large.

Et pour autant, la « Klassens tid » prise isolément ne pourra pas régler tous les problèmes et elle ne peut être décorrélée d’un ensemble de remises en question, plus profondes, sur le fonctionnement général des structures d’accueil des enfants et adolescents dans le cadre scolaire. Bien évidemment, cette réflexion se décline aux entreprises, services publics et autres sphères dans lesquelles chacun de nous évolue quotidiennement. Car le harcèlement n’est pas un problème uniquement scolaire, est-il encore utile de le rappeler ?

 

Quoi qu’il en soit, dans les structures d’éducation, il me semble qu’il est impératif de faire du vivre ensemble, au sens humain du terme, une priorité absolue. Je ne parlerai ici ni de concepts, ni de recherches mais d’une aventure que nous vivons au quotidien à l’Année lumière, structure créée à Lyon en 2019.

Inspirée, et labellisée en 2021, par les hojskole danoises – retour en Scandinavie ! – l’Année lumière accueille les jeunes de 16 à 25 ans sur un programme à temps plein de 6 ou 9 mois, pour prendre le temps de construire leur projet d’avenir.

Prendre le temps, vous avez bien entendu, conception quasi inconnue en France notamment sur cette tranche d’âge pendant laquelle la compétition en ligne droite pour décrocher le diplôme le plus élevé semble être la priorité absolue. Inutile d’aller voir bien loin pour se rendre compte que la « gap year » ou « année de césure » fait pourtant recette dans les pays anglo-saxons, scandinaves mais aussi en Allemagne ou en Suisse, plus éloignés de notre sacro-sainte culture française du diplôme dans laquelle réussite scolaire et méritocratie sont centrales et où l’on ne prend pas le temps de faire autre chose.

Les partisans de la césure vous diront, à l’instar de Gabrielle Predko dans Welcome to the Jungle : « Le nez dans le guidon, on ne dispose pas toujours de suffisamment d’espace mental de libre pour imaginer la suite. Respirer un instant à l’écart de celles-ci pour prendre du recul sur sa vie et son avenir professionnel, souffler entre deux diplômes peut alors s’avérer nécessaire. (…) Cette pause au cours de son cursus permet généralement de se construire et de mieux savoir où l’on va ».

Peu à peu, de nouvelles propositions sont donc faites aux jeunes (majoritairement pour les diplômés d’un premier cycle) : voyager, faire du bénévolat, travailler, effectuer une mission de service civique ou encore étudier à l’étranger… Autant d’expériences valorisantes pour son CV et son employabilité !

Mais à l’Année lumière, il est question de prendre le temps de construire son projet d’avenir, ce qui signifie un projet professionnel certes, mais aussi personnel et citoyen. Car au-delà de cet ensemble de propositions d’activités (du côté du « faire ») figurent avant tout rencontres, découvertes, expériences… permettant non seulement de mieux se connaitre soi-même mais aussi de s’ouvrir aux autres et de travailler… son empathie (du côté de « l’être ») ! Une compétence dépassant largement les contours du CV et permettant à chacun de réfléchir et de travailler son humanité et son rapport aux autres ! Ainsi à l’Année lumière, chaque jeune participe à des ateliers divers lui permettant de prendre connaissance, d’échanger et de vivre les relations humaines : confiance en soi, psychologie positive, communication assertive…

Mais même si l’outillage est pertinent, il ne peut se suffire à lui-même. Pour être efficace, il doit s’inscrire dans plusieurs lignes directrices complémentaires :

  • Un projet éducatif pensé au service des relations humaines constructives comme terreau indispensable à tout apprentissage. A l’Année lumière, notre projet éducatif inscrit noir sur blanc cet objectif en articulant missions, valeurs mais aussi posture des intervenants et plan de formation.
  • Une cohérence au quotidien entre les mots, les paroles prononcées et les actes posés ; comment, en tant qu’adultes, transmettre des valeurs que l’on n’applique pas soi-même ?
  • Une organisation des espaces favorables au vivre ensemble pour créer une atmosphère où les jeunes se sentent à l’aise et peuvent réellement communiquer ensemble, où les fragilités et les forces de chacun sont mises à jour.
  • Une relation de confiance et un accompagnement de chacun dans l’apprentissage de la considération de soi-même et de l’autre.
  • Un esprit de collaboration (entre adultes et jeunes, entre jeunes, entre adultes) plus que de compétition. La capacité à coopérer est considérée comme fondamentale aujourd’hui… … mais est reconnue comme étant moins développée dans les écoles françaises que dans les autres pays de l’OCDE, comme l’indique Fabienne PAULIN-MOULARD dans son rapport de décembre 2022 à l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche « Les pratiques collaboratives au service des apprentissages ».
  • Et enfin, une réelle diversité : les Lumineux ont entre 16 et 25 ans, peuvent être « décrocheurs », lycéens, bacheliers, en cours d’études supérieures ou diplômés, ils sont d’origines sociales et culturelles diverses – grâce au soutien de Fondations et de subventions publiques qui permet un accès en fonction du quotient familial et surtout, ils sont uniques et s’enrichissent mutuellement de leurs différences ! Enfin, cela donne à chacun l’occasion de développer la capacité d’expliquer tel ou tel contenu à un autre jeune. Cela n’est pas une tâche facile, mais c’est une compétence inestimable pour la vie. La recherche démontre en effet que ce type de collaboration et d’empathie apporte également un niveau profond de satisfaction et de bonheur et il est intéressant de noter que le cerveau des gens enregistre plus de satisfaction en coopérant qu’en gagnant seul.

Depuis plus de 4 ans, les résultats sont là : non seulement – après cette brique complémentaire que le jeune vit à un moment ou à un autre de son parcours – il poursuit un cursus de formation ou accède à l’emploi mais, et c’est là l’essentiel, il est profondément transformé dans son rapport à lui-même, aux autres, au monde.

Comme le dit une maman de Lumineuse : « J’ai vu ma fille chercher, s’épanouir, oser, nouer de belles relations et enfin trouver sa voie. Elle a pris un chemin auquel je n’aurais pas pensé pour elle, comme quoi les autres regards sont précieux, et elle y est très heureuse, c’est l’essentiel. À l’Année Lumière on met les jeunes dans un shaker avec tous les ingrédients nécessaires (bienveillance, propositions variées, solide esprit d’équipe, découvertes de langages et d’approches, des projets stimulants et exigeants… j’en oublie sûrement plein), on secoue tout ça pendant un an (oui, ça secoue un peu) et le résultat est magnifique : des jeunes qui trouvent leur voie et osent s’y lancer. Ils y ont aussi gagné en force intérieure et en joie de vivre, bref, ils sont vraiment lumineux ! »

Au-delà d’un diplôme, n’est-il pas essentiel pour chacun de nos jeunes d’acquérir les compétences essentielles au vivre-ensemble ? Mais alors, ne serait-ce pas intéressant de les travailler avant la fin de la scolarité obligatoire ? Doter nos jeunes de ces compétences ne devrait-elle pas être une priorité éducative incontournable ? En anticipant ce sujet, nous investissons dans un avenir où la compréhension et le respect mutuel forment des citoyens épanouis et responsables, capable de relever des défis collectivement. S’inspirer des expériences réussies, en France comme à l’étranger, pourrait être une piste à suivre…